Discours du Premier ministre, Dr Ariel Henry
Je suis heureux d’être parmi vous, ce 27 juin 2023, pour célébrer le deux centième anniversaire de la création de la Cour des Comptes. Je veux, par ma présence, en un instant aussi solennel, en cette journée de grande célébration, journée de mémoire, rendre hommage à cette institution qui, depuis deux cents ans, sert l’Etat,malgré les vicissitudes de l’Histoire. Je veux égalementrendre hommage au travail et au sens de service des neuf conseillers et de tous ceux qui les aident à accomplir leur mission.
Cette mission, c’est de faire en sorte que la confiance des citoyens dans l’Etat soit préservée. Cette mission, c’est de faire respecter une éthique, une éthique républicaine, une éthique de service public. Cette mission, c’est le contrôle rigoureux, méticuleux des comptes publics. C’est d’abord et avant tout uneexigence morale, un acte civique.
L’argent public, c’est l’argent de la collectivité. C’est l’argent durement gagné par le travail, l’effort, la peine de chacun. Cet argent est le sacrifice qui est imposé à chaque contribuable pour que la République puisse vivre.
L’argent public, celui du peuple, celui de la nation, est sacré parce que les besoins sont toujours plus grands que les ressources. Il y a trop de détresse, de souffrances à soulager. Il y a trop d’injustices à réparer trop d’inégalités à corriger, trop d’écoles et d’hôpitaux à construire, trop de périmètres d’irrigation à réhabiliter pour qu’un seul centime soit gaspillé, pour qu’un seul centime soit détourné.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer devant vous aujourd’hui pour dire que l’époque où les dirigeants pouvaient disposer à leur guise de l’argent public est révolue. Puisque, pendant au moins les dernières décennies, notre Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif ne s’est plus contentée de jouer plus le rôle de simple vérificatrice ou de contrôleur, mais aussi de vigile ou de censeur. Et cela a produit des résultats.
L’Etat haïtien a besoin d’une révolution intellectuelle et morale. La révolution intellectuelle, pour moi, Premier ministre, c’est celle qui oblige à la transparence et à lasincérité des comptes. C’est celle de l’évaluation qui oblige chacun à se soucier des conséquences de ce qu’il décide, en termes d’utilisation des fonds publics et des résultats de ce qu’il entreprend. La révolution morale pour moi, Premier ministre, c’est celle de la responsabilisation personnelle pour ceux qui commettent des fautes. C’est la fin du sentiment d’impunité.
C’est, en même temps, la récompense du mérite et du travail bien fait.
Il nous faut, dans nos démarches, combattre l’injustice.Il nous faut également un contrôle plus rigoureux, une évaluation plus systématique, une responsabilité mieux affirmée et à laquelle nul ne doit être soustrait. Cela permettra non seulement de faire des économies pour réduire nos déficits et notre endettement, mais aussi de rétablir le prestige de notre fonction publique et de restaurer l’autorité de l’Etat qui pâtit de toutes les fautes et des erreurs qui ont été commises en sonnom.
Je souhaite que chaque ministre de mon gouvernement,chaque Directeurgénéral d’organisme autonome,chaque dirigeant d’établissement public, chaque ordonnateur se sente concerné, impliqué, responsable. Je veux que chacun sache qu’il sera jugé sur sa gestiondes deniers publics, sur les choix, bons ou mauvais, qu’il aura faits, en matière de dépense. Je suis convaincu que nous ne résoudrons rien si nous n’assainissons pas nos finances publiques, si nous ne réduisons pas durablement nos gaspillages, et si nous n’appliquons pas une politique d’austérité.
Mesdames, Messieurs,
Honorables Présidente
et membres du Conseil de la Cour,
Cette année de célébration, et pas n’importe laquelle –nous parlons ici de bicentenaire – doit être surtoutl’occasion de faire un bilan exhaustif des réformes et évolutions des dernières décennies.
L’histoire de la Cour est une longue chronique d’une extension progressive de ses missions. L’histoire de la Cour est aussi, l’histoire de la construction progressive d’un équilibre. Pourtant, cette histoire n’aura jamais été celle d’un long fleuve tranquille. Pourtant, cela ne l’aura pas empêchée de parcourir un chemin si difficile, une aventure qui n’est au fond qu’un reflet de l’histoire politique et sociale de notre pays, avec ses vicissitudes, en même temps, ses avancées.
Bien souvent, on entend parler de la longévité en termes de « secret » ou de « recette » comme s’il existait un élixir de longue vie ou des formules magiques à prononcer. Je pense que les raisons du grand âge de la Cour des Comptes se trouvent en grande partie dans sonindépendance et de sa ténacité à renverser les obstacles pour rester en conformité avec sa mission.
L’un des rôles de la Cour des Comptes et du Contentieux administratif, justement, est d’aider l’Etat à gérer mieux.
Au fil du temps, elle a beaucoup changé, passant de la Chambre des Comptes à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif. Loin d’être un frein pour l’administration, la CSCCA doit devenir un moteur de la modernisation et de la simplification des procédures, dont notre pays a tant besoin, tout en conservant l’élément de rigueur qui caractérise la démarche.
Cette célébration du 200ème anniversaire doit être pour l’institution l’occasion de passer en revue ses plus importants résultats et ses réalisations au cours des deux siècles de son existence et de rappeler les jalons qui vont marquer les prochains chapitres de son parcours et les défis auxquels elle doit faire face aujourd’hui et demain.
Je sais que le fardeau est pesant sur les épaules de ce solide organisme d’audit des fonds publics et de justice administrative. Pendant deux cents ans, elle a pu le porter avec courage. Plus d’une fois, faisant face à des attaques de toutes sortes, elle a su résister, à travers le temps, aux vents et aux flots qui l’ont forcée, à de nombreuses reprises, à se plier comme un roseau. Mais, elle a pu se relever comme un géant pour poursuivre la lutte quotidienne relevant de sa mission. Celle quiconsiste à passer aux peignes fins les actions financièresde nos ordonnateurs et de rendre justice à ceux qui se sentent lésés ou qui se croient victimes d’abus au sein de l’administration.
Sous l’impulsion de vosprédécesseurs et égalementsous la vôtre, Madame la Présidente, la Cour est devenue plus active, plus opérationnelle.La Cour est, aujourd’hui, une institution qui regroupe un ensemble de compétences, allant de simple commis aux vérificateurs.
Son statut juridictionnel et sa collégialité que lui confère la loi consacrentson indépendance précieuse pour l’accomplissement de ses missions. Une indépendance que mon gouvernement veut préserver, voire accroitre, en renforçant les moyens de sa politique.
J’ai confiance dans vos talents, vos compétences et votre force de conviction.
Nous devons parvenir à une plus grande imputation au quotidien de nos actes de gestion, parce qu’il nous faudra continuer à assigner la responsabilité sans laquelle, en effet, l’insouciance et l’inconscience triomphent. Nous devons privilégier une approche fondée sur la confiance et développer une culture de la performance, en ce qui a trait à la transparence engagée dans la gestion des fonds publics.
Les hauts fonctionnaires, les ordonnateurs de l’Etat, les administrateurs, les corps comptables, etc., ont un devoir d’exemplarité accrue en matière de reddition de comptes. C’est un combat quotidien, cette exigence de transformer nos vieilles habitudes et de nous doter d’une moralité exemplaire. C’est loin d’être facile.
Avec une détermination réaliste, nous pouvons le faire collectivement. Le chemin est laborieux, certes, mais c’est un défi à relever.
Cependant, en 200 ans, l’institution vacille encore entre modernité et tradition. Il faudra davantage innover, surtout à l’ère des nouvelles technologies.
L’avenir de la Cour des Comptes n’est pas derrière elle. Il est devant elle. La Cour a une histoire. 200 ans, elle est, de ce fait, parmi les institutions les plus anciennesdu pays. On n’appartient pas à une institution pareille sans ressentir sans doute une fierté secrète. Celle d’être héritier d’une aussi longue tradition et sans que chacun ne se trouve porté par cette tradition à la plus grande exigence envers lui-même, tant il éprouve tout naturellement le devoir de s’en montrer digne.
Je profite de cette occasion exceptionnelle pour saluer la compétence professionnelle, l’expérience, la capacité d’expertise, l’esprit d’indépendance et la rigueur moraledes auditeurs, analystes, avocats, juges, vérificateurs de la Cour, etc.
J’y ajouterai le principe de confiance qui doit régir les rapports entre le public et l’institution.
200 ans. La marche vers l’excellence se poursuit. Je vous invite, donc, à inventer l’avenir. Je suis venu vous inviter à faire de ce bicentenaire non une simple célébration, mais le point de départ d’une renaissance.
Je suis venu vous inviter à la rupture avec les habitudes, les comportements, les routines du passé. Je suis venu vous inviter à l’audace pour faire les réformes, pour innover, pour refaire de l’Etat le levier du changement, à travers l’assainissement des comptes et une justice administrative équitable.
La CSCCA a deux cents ans. C’est un bel âge pour une institution dans un pays qui connait sans cesse des soubresauts interminables. Cette longévité, elle la doit à la qualité des hommes et des femmes qui l’ont servie, à leur haute valeur intellectuelle et morale, à leur passion pour le bien public. Ils ont su la rendre indispensable à l’Etat.
J’espère que, plus jamais, dans les années à venir qu’aucune administration ne commette la faute de mettre la Cour en veilleuse.
Madame la Présidente,
Monsieur le vice-président,
Honorables Conseillers,
Cadres et employés de la Cour,
Je vous souhaite de garder intactes vos vertus et les valeurs qui vous habitent et qui transcendent la Cour, gardienne vigilante de nos finances publiques, le gendarme des comptes publics. Elle doit continuer à asseoir, à travers le temps, sa réputation sur du roc.
Et l’évocation de son passé n’a d’autre sens que de mieux garantir les services qu’elle entend rendre encore, demain, à Haïti et aux Haïtiens.
Nous remercions nos partenaires de la Communauté internationale pour leur accompagnement et leur soutienau cheminement de cette institution d’Etat.
A l’occasion du 200e anniversaire, je vous renouvellema confiance.
La Cour des Comptes a deux cents ans et encore une tâche immense à accomplir. Le chemin à parcourir est très long. Deux cents ans, c’est un âge vénérable. Au-delà même des plus grandes espérances.Deux cents ans d’histoire. Deux cents ans d’ajustement. Deux cents ans de victoire et de déprime.
La CSCCA a deux cents ans et elle commence une nouvelle jeunesse.
Elle a deux cents ans et tout l’avenir est devant elle.
Nous allons ensemble le consolider. Pour que survive la Republique.
Je forme le vœu que la cohérence et la constance continuent à guider les actions de la Cour qui ouvre déjà les portes de la majestueuse citadelle de son tricentenaire. Bonne célébration.
Je vous remercie.
Dr Ariel Henry