Débat général – 78e session ordinaire
Assemblée générale des Nations unies
New York – 22 septembre 2023
Monsieur le Président de l’Assemblée générale,
Monsieur le Secrétaire Général,
Excellences Mesdames, Messieurs les Chefs d’État et de Gouvernement,
Mesdames Messieurs, les chefs de délégation,
Distingués Délégués,
Chers compatriotes,
Qu’il me soit tout d’abord permis d’adresser mes félicitations au frère de la Caraïbe, Son Excellence Monsieur Dennis Francis, pour son élection à la Présidence de la 78e Session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Je saisis l’occasion pour redire au Secrétaire Général, Antonio GUTERRES, toute la gratitude du peuple haïtien qui a apprécié à sa juste valeur sa récente visite au pays et son soutien indéfectible à la démarche d’Haïti auprès du Conseil de Sécurité, pour l’obtention d’un soutien robuste à la Police Nationale d’Haïti.
Monsieur le Président,
Je me félicite du thème choisi pour guider nos interventions au cours de cette session : « Rétablir la confiance et raviver la solidarité mondiale : accélérer l’action menée pour réaliser le Programme 2030 et ses objectifs de développement durable en faveur de la paix, de la prospérité, du progrès et de la durabilité pour tout le monde ».
Il nous incombe d’examiner et de proposer des solutions aux principaux défis mondiaux, susceptibles de faire progresser la paix, la sécurité et le développement durable. En effet, il est difficile de concevoir le développement sans la paix et la sécurité. Il faut faire preuve de solidarité et de détermination pour relever ces défis.
Le monde, à la veille de l’échéance de 2030, va mal. L’éclatement de nombreux conflits aux conséquences désastreuses pour les populations civiles, la multiplication de crises sécuritaire, sanitaire, alimentaire, sont là pour nous rappeler, que nous nous éloignons des grands idéaux de la Charte des Nations Unies.
J’en veux pour preuve, l’insécurité alimentaire engendrée par les conflits et les violences. Le Rapport mondial 2023 sur les crises alimentaires, indique que 258 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire aigue et avaient besoin d’une aide alimentaire d’urgence en 2022. C’est pourquoi mon pays avait pris part au débat public de haut niveau « sur la famine et l’insécurité alimentaire mondiale provoquée par les conflits », qui a été organisé au mois d’aout dernier par le Conseil de sécurité, pour tirer la sonnette d’alarme. L’économie mondiale, depuis la crise du Covid-19, se trouve dans une situation de stagnation, l’inflation frappe de nombreuses économies et les perspectives de croissance ne sont pas encourageantes.
Monsieur le Président,
Cette situation n’est pas sans conséquence sur les pays les moins avancés, notamment Haïti qui doit constamment faire face à la volatilité des prix et à une terrible crise, aggravée par la détérioration de la situation sécuritaire du pays.
Il convient également de mentionner, dans ce décor inquiétant, les changements climatiques qui représentent pour les petits États insulaires, comme Haïti un danger permanent, les mettant à rude épreuve. Au passage de chaque ouragan, les économies de la région Caraïbesubissent des pertes énormes, qui remettent en question des avancées significatives enregistrées sur le plan socio-économique et politique, par la destruction des infrastructures économique, éducative, sanitaire et énergétique.
Cette session m’offre l’occasion, en ma qualité de Chef du gouvernement d’Haïti, d’exposer la situation du pays, plongé dans une crise profonde depuis des années, à laquelle je m’évertue à trouver des réponses concrètes et durables. C’est une crise structurelle et multidimensionnelle qui a impacté nos institutions et qui empêche le développement économique et le progrès social. Elle a atteint aujourd’hui sa phase critique avec la dégradation de la situation sécuritaire, où la population subit quotidiennement les attaques violentes des gangs armés qui contrôlent plusieurs quartiers de la capitale et de certaines villes de province. Ils assassinent, incendient, pillent, volent, violent avec une rare cruauté. Ils chassent les habitants de leurs maisons, bloquent les routes et contraignent les écoles,les hôpitaux et les commerces à fermer leurs portes.
La détérioration de la situation sécuritaire, ces dernières semaines, a engendré une nouvelle crise humanitaire avec des déplacés qui occupent de façon spontanée plusieurs sites pour échapper à la violence des gangs. Plus de 25 écoles de la capitale sont investies par les déplacés internes, estimés à plus de 16.500. Ils font face à de graves difficultés et vivent dans des conditions infrahumaines. La menace sanitaire est aussi présente, avec des cas de choléra signalés dans certains sites. Ce qui augmente le risque de transmission et pose un vrai problème de santé publique pour la population.
Les abus, les violations systématiques des droits de l’homme, causés par la violence des gangs, compromettent la paix, la stabilité et la sécurité du pays et de la région. Les enlèvements contre rançon, les pillages, les incendies, les récents massacres, la violence sexuelle et sexiste, le trafic d’organes, la traite des personnes, les homicides, les exécutions extrajudiciaires, le recrutement d’enfants-soldats, les blocages des routes principales, constituent une liste non exhaustive des crimesperpétrés par les gangs armés.
Il en résulte de graves conséquences, telles que : la mauvaise performance de l’économie qui a enregistré (5) années de contraction, avec un taux de croissance négatif et une inflation élevée de près de 40%. De surcroit, la crise humanitaire s’accentue. Selon les estimations, 4,9 millions de compatriotes se trouvent dans l’insécurité alimentaire. C’est à peu près la moitié de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 2 dollars américains par jour.
Monsieur le Président,
Nous ne sommes pas là pour accabler ou justifier le passé. Nous sommes ici pour demander aux pays amis, à tous ceux qui de loin ou de près regardent notre pays et comprennent qu’il y a quelque chose d’urgent à faire au profit du peuple haïtien, de nous aider à créer un meilleur avenir pour les enfants d’Haïti, en rétablissant la sécurité et la stabilité.
La République d’Haïti a connu plusieurs chocs successifs ces 15 dernières années, dont 3 tremblements de terre plusieurs cyclones et l’assassinat odieux du Président Jovenel Moïseen juillet 2021. Il est impossible aujourd’hui d’inventer une histoire ou une rhétorique biaisée sur Haïti. La réalité est là et elle interpelle tout un chacun. Un ensemble de mauvaises décisions, de comportements inappropriés et de radicalismes divers, nous ont conduits à cet état de fait.
Je sollicite aujourd’hui, une fois de plus, du haut de cette tribune, d’aider les Haïtiens à demeurer chez eux. Ils sont des milliers à chercher ailleurs, un mieux-être et la tranquillité que leur terre natale ne leur offre plus, dans un monde où il existe de moins en moins d’Eldorado à cause des aléas climatiques et des crises économiques récurrentes.
Je réitère, au nom du Peuple haïtien et du Gouvernement que je dirige, la demande de nous prêter main forte pour encadrer la Police Nationale d’Haïti (PNH) pour qu’elle puisserépondre réellement aux nouveaux défis qui s’imposent à elle et à sa mission de protéger les vies et les biens et de servir. Certains pays ont connu des situations similaires à celle que vit mon Haïti actuellement ; ce sentiment de toute-puissance des criminels ne doit pas pour longtemps encore résister aux lois de la République et à la volonté de l’ensemble des citoyens de récupérer leur liberté de circuler et de se projeter dans leur pays.
Des Haïtiens, il y a en a un peu partout aujourd’hui dans le monde et beaucoup espèrent retourner chez eux. Nous sommes reconnaissants à certains pays qui les ont accueillis. Mais, je désire pouvoir leur direqu’aussitôt l’ordre et la stabilité revenus, ils pourront, s’ils le souhaitent, rentrer pour participer au grand « kombit » de la reconstruction.
Monsieur le Président,
Je suis venu vous dire, au nom du Peuple haïtien, que nous sommes prêts pour ce changement que nous attendons depuis un peu plus de deux siècles. La liberté n’est complète que si elle permet à chaque citoyen de s’accomplir, de vivre dans la dignité et dans des conditions décentes.
Je suis venu vous dire, au nom du Peuple haïtien, que la question sécuritaire demeure la grande priorité de mon gouvernement, que la circulation des armes à feu, les enlèvementscontre rançon, les massacres constituent des préoccupations majeures de mon administration.
Monsieur le Président,
Le quotidien du Peuple haïtien est pénible.C’est pourquoi le Conseil de Sécurité quidispose du pouvoir et de la compétence nécessaires, en vertu du Chapitre VII de la Charte, doit agir en urgence en autorisant le déploiement d’une Mission multinationale de Soutien à la Sécurité, à composante policièreet militaire, pour aider la Police Nationale d’Haïti à combattre les gangs et rétablir l’ordre.
L’emploi de la force, comme première étape, demeure indispensable pour créer un environnement propice au bon fonctionnement de l’État. C’est un préalable nécessaire, mais non suffisant. Le développement socio-économique doit être pris en compte pours’attaquer durablement à l’extrême pauvreté, source de tous nos maux.
Les inégalités sociales et la très mauvaise répartition de la richesse nationale ont creusé un écart énorme entre les masses populaires nécessiteuses et la minorité possédant qui contrôle 90% des richesses du pays. L’extrême pauvreté accentue le chômage des jeunes, marginalise ceux des quartiers pauvres qui se laissent entrainer facilement dans la délinquance et la criminalité. Cette catégorie constitue un terreau fertile de recrutement pour les gangs armés.
Une fois de plus, du haut de cette tribune, je lance un appel à tous les Haïtiens de bonne foi, ceux qui vivent dans la diaspora, comme ceuxde l’intérieur, tous les acteurs de la vie politique, quelle que soit leur tendance, à travailler avec le gouvernement pour combattre les gangs, rétablir la sécurité etcomme de vrais démocrates à prendre le pouvoir par les urnes. Ce gouvernement intérimaire que je dirige est déterminé à réaliser les élections dans les meilleurs délais. Et dans les jours à venir, malgré la situation, je finaliserai en accord avec le Haut Conseil de la Transition les démarches pour le lancement duprocessus électoral, avec le support de la communauté internationale.
Le gouvernement entend continuer à discuter avec tous les acteurs politiques et de la société civile de mon pays, afin de trouver ensemble, dans un élan patriotique, un consensus historique suffisant, pour un dénouement heureux à la crise. La démocratie est en difficulté et le pays a besoin d’un retour à la normale pour s’attaquer aux grands défis de l’heure. Je souhaite également la participation significative des femmes et des jeunes, de la société civile et de tous les acteurs concernés à l’effort commun pour le redressement d’Haïti. Seul un gouvernement légitime issu d’élections libres honnêtes, démocratiques et transparentes pourrait s’atteler à la tâche de la refondation territoriale, économique, sociale et Institutionnelle.
Monsieur le Président,
Je voudrais souligner à la haute attention de la communauté internationale une situation qui s’est développée, ces dernières semaines à la frontière haïtiano- dominicaine, créant un malaise inutile entre les deux (2) Républiques qui se partagent l’île. Je souhaite préciser que la République d’Haïti n’est en guerre avec personne. Les Haïtiens sont un peuple généreux et solidaire qui croient au dialogue et à la possibilité de partager équitablement des ressources communes, sans heurts et dans le respect mutuel.
Je suis venu vous dire que nous n’avons pas de jugements ni d’intentions qui peuvent préjudicier ceux qui sont nos voisins, avec qui nous partageons l’île d’Haïti, avec qui nous sommes appelés à vivre, à progresser. L’histoire nous rappelle chaque jour que la violence entre pays frères ne peut entrainer que des regrets et nous laisser des amertumes qui se transmettent de génération en génération.
Je suis venu vous transmettre le message du peuple haïtien dans son ensemble : la rivière Massacre, une trop grande scène de frictions historiques et actuelles entre la République d’Haïti et la République dominicaine, nous invite à faire de notre mieux pour ne pas réveiller les vieux démons, ressusciter d’anciennes blessures ni en causer d’autres. Haïti réaffirme son droit souverain du peuple haïtien d’utiliser les ressources hydriques binationales, comme le fait la République Dominicaine et revendique une répartition équitable des eaux de cette rivière.
Le peuple haïtien choisit la voie du dialogue etde la négociation pour régler pacifiquement le différend, dans le respect des instruments juridiques internationaux déjà signés de bonne foi entre les deux Etats, en 1929 et 2021.
Monsieur le Président,
Avant de conclure, je saisis l’occasion pour saluer les pays frères et amis, ainsi que les Organisations internationales, pour leur engagement et leur expression de solidarité envers Haïti, notamment le Kénya qui accueille positivement l’idée d’assumer le leadership de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité et qui a déjà effectué en août dernier une mission d’évaluation dans le pays.
Monsieur le Président,
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Dans l’histoire, Haïti représente une figure emblématique de liberté et de solidarité. Haïti a toujours répondu présent pour venir en aide à des peuples frères dans leur lutte légitime pour la liberté et l’autodétermination et au sein même de l’ONU. La République d’Haïti s’est identifiée aux valeurs universelles pour lesquelles elle s’est battue aux 18e et au 19esiècle. En dépit d’indicibles souffrances et de sa détresse, l’espoir continue d’habiter le peuple haïtien qui poursuit sa quête d’un avenir meilleur dans la dignité.
Le peuple haïtien, de la même manière qu’il a étonné le monde en 1804 changeant radicalement son statut d’esclave en homme libre, peut encore et veut redessiner son destin. Je sollicite cet appui, cette solidarité fraternelle afin de nous aider à tourner cette page sombre. Je demande à la Communauté internationale d’agir, mais d’agir vite.
Vive le réchauffement des relations avec notre mère Afrique ! Vive la Coopération internationale ! Vive Haïti !
Je vous remercie.
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